Etude : L’effet « Wicked game »

Sous la direction de Daniel D.

En 2011, Daniel D se demande pourquoi autant de chanteurs et de chanteuses font des reprises de ce morceau. Après de multiples expérimentations – comprenant des distorsions et des mash-up des plus horribles – Daniel D découvre que les reprises de « Wicked Game » ont la capacité d’éradiquer l’attirance physique qu’on éprouve pour une personne. En effet, vous êtes amoureux.se d’une personne qui ne l’est pas par vous. Vous pouvez être exorcisé de cet amour impossible en écoutant une superposition de sept reprises du morceau « Wicked game » à la vue de votre béguin. Pour que une totale efficacité, il faut que votre béguin reste dans son chant de vision tout le long de l’écoute.

Attention ! Toute utilisation de l’effet « Wicked game » sur autrui est punie par la loi !

Ainsi, en 2016, Natasha C est condamnée à 2 ans de prison avec sursis pour avoir séquestrée et infligée l’effet « Wicked game » à une prétendante de son époux.

D’autre part, en 2018, Nicolas P kidnappe une femme dont il est follement amoureux afin de s’infliger l’effet « Wicked game ». La victime décide finalement de ne pas porter plainte.

Témoignage

Sous la direction de Chakal

Témoignage d'un type, aux Etats - Désunis, Jack Moriarty. Je l'ai rencontré dans un pub à Londres et l'ai retrouvé il y a quelques jours, après un concert quelconque, à Lille. Il me raconte son histoire, d'une traite, comme si elle se passait en temps réel.

Les pélicans se brossent les plumes à la naphtaline, Side A

Installé sur le porche de ma vieille baraque en bord de Ville, je descends une boite de bière tiède sous la chaleur d’un soleil levant déjà trop chaud et décide de ne rien branler de la journée. Je m’installe dans le salon pour m’abriter d’une chaleur à crever et pose mes miches au salon. Dans le mange-disque je balance du classique : la 3e symphonie de Brahms. C’est pas dans mes habitudes musicales, mais plus je grimpe en âge et plus ça me plait ce genre de choses. Je trouve ça apaisant. C’est Bukowski qui disait que pour écrire correctement, il fallait se balancer du Brahms ou du Bach dans les étagères en éclusant des litres de mousseuse. Je crois bien que c’est la seule leçon valable sur le sujet de l’écriture. Y’a tout un tas de types et de nanas, plus ou moins doués avec une plume, qui te chient des recettes pour amateurs de brokes encrés ; moi si j’avais un conseil à donner à ceux désireux de se lancer dans ce bourbier, ça serait d’envoyer paître ces putains de pélicans tout juste bons à se brosser les plumes à la naphtaline ; perdre son temps à reluquer leurs conneries, c’est comme bazarder sa guimbarde à toute bringue en travers d’une baie vitrée et pas fermée. Si tu veux écrire, apprends d’abord à voir, à lire, à entendre – seul le rythme importe, le reste est futile et Dieu elle-même s’en cogne. J’écoute la symphonie jusqu’à son terme en continuant de voguer sur ces pensées, et puis je me souviens qu’aujourd’hui c’est aujourd’hui, et aujourd’hui c’est le jour des nouveautés chez Ernie. Ernie c’est le taulier du meilleur disquaire de la Ville. Son bouclard se trouve sur avenue des Trois Pendus ; c’est pas très loin mais j’ai envie de conduire malgré (en fait à cause) des bibines ingurgitées depuis le p’tit déj’. Je titube un brin, me colle derrière le volant et roule peinard à l’allure raisonnable de trente kilomètres heure. Dans le mange-disque, y’a déjà le Strange Days des Doors ; je me laisse bercer par la voix suave de Morrison sur You’re Lost Little Girl, les glozzes à moitié clos derrière mes lunettes de soleil.

Je remarque à peine la gonzesse en jupe rouge et chemisier blanc, la tignasse brune et frisottée maintenue par un foulard rouge-rouge aussi – sublime Esmeralda. Mais pour le moment, comme je te disais, je la remarque à peine et continue ma route. Je me gare presque droit et presque juste en face du Ernie Tubb Record Shop. A l’intérieur, l’album Electric Ladyland du Jimi Hendrix Experience laisse raisonner ses sonorités complètement dingues, un poil bluesy et totalement psychédéliques, lorgnant même avec quelques piges d’avance sur le hard rock ; absolument hallucinant comme galette , c’est savoureux. Je farfouille un peu les bacs, voir si je trouve pas deux ou trois autres rejetons du mouvement psyché’. Ernie sort de l’arrière-boutique et me gratifie de son grand sourire édenté d’ex-héroïnomane. Mon vieux pote Charly, mon p’tit frère Tony et moi, on venait souvent passer des après-midi à venir écouter de la musique chez Ernie quand on était gamins. C’est lui qui nous a initiés à la musique – d’abord – et au thé ensuite, quand on a été un peu plus grands. A l’époque il n’était pas si vieux que ça ; il devait avoir une petite quarantaine mais il avait déjà plus une ratiche dans le claquoir, une calvitie naissante en plein milieu d’une maigre tignasse grisâtre et grasse, et il cachait une gueule bouffée par des années de défonce sous une grosse barbe hirsute, pas taillée et puant la bière bon marchée. Mais il avait aussi deux petits yeux bleus très clairs planqués sous des lunettes à la monture fine et argentée. Ces yeux là, soulignés par son sourire en gondole large-large, tordue d’une esgourde à l’autre, avaient un côté rassurant, chaleureux. Il lui suffit de te sourire pour te mettre en confiance. Derrière son bouclard il y a une petite cour, et au fond de cette cour, une caravane sans roues montée sur parpaings qui lui sert de piaule. Dedans, y’a un matelas moitié-miteux, un mange-disque, et le système d’écoute le plus dingue et le plus au poil qui existe dans toute la Ville, voir même sur cette foutue planète, j’en mettrais ma queue au barbec’. Mais je divague. Ernie nous a fait découvrir un tas de trucs et c’est comme ça qu’on s’est mis à écouter Jimi Hendrix, Eric Clapton, les Stones etc. Ca été les premières grandes claques dans les molaires qu’on s’est prises. Après ça, on est revenu toutes les semaines chez Ernie pour s’en carrer plein les baffles, se gaver de musique jusqu’à en dégueuler. Mais je divague encore. Ernie me fait signe de contourner le comptoir et de le rejoindre derrière, qu’il a des petites choses pour moi ; je lui demande comment vont les affaires :

« Ah ! Ferme un peu ton claquoir, si c’est pour m’baver ce genre de foutaises. »

La question est visiblement prise de traviole alors j’insiste pas. Il me propose plutôt d’aller écouter des trucs dans sa caravane sans roue et d’y prendre le thé, mais la clochette de la lourde à l’entrée tinte deux fois. Un deuxième client sur la matinée ? C’est assez rare pour qu’Ernie me demande de patienter là, le temps d’aller zieuter un peu le nouvel arrivant ; je lui emboite le pas sans vraiment y réfléchir. Le nouvel arrivant est en fait une arrivante – absolument sublime – que je remarque pleinement. Après ça, je percute l’avoir remarqué, mais moins pleinement, quelques lignes plus tôt, alors que je roulais tout groggy en direction d’ici-même. Bref, la belle brune, probablement d’origine latine et d’environ mon âge, est planquée derrière le bac des disques de funk. Ernie marque un temps de pause, moi un deuxième, parce que quand même, c’est assez surprenant de voir débouler une gonzesse plus canon qu’une nuit sans nuage ou qu’un con sans durillon dans ce bouclard miteux. Et puis…du funk ?... Plus surprenant encore, elle tombe maintenant dans les bras d’Ernie et s’agrippe à son cou tordu en lui donnant du « papa ». Papa ?! Sainte-Suceuse, j’ignorais que le vieil Ernie avait une môme... Et quelle môme ! Ernie offre à nouveau d’aller prendre le thé et on se carapate tous les trois dans la caravane sans roue. Ernie nous passe un disque d’Eternal Tapestry et sort des bières d’un petit frigo (ouais, j’ai oublié le petit frigo dans la description tout à l’heure). Il me lance ensuite un sachet de thé et des feuilles à rouler, m’ordonnant sans baver broke de rouler un machin. Il fait les présentations de manière plus formelle :

« Eileen, j’te présente Jack, Jack, j’te présente Eileen. Maintenant buvez. »

Le vieux nous invite à trinquer, on laisse nos boites d’aluminium s’entrechoquer dans une absence de bruit et en prenons de longues gorgées en simultanée ;

« Je suis enchantée de faire ta connaissance, Jack. Ernie m’a beaucoup parlé de toi. T’es l’écrivain, c’est ça ? »

J’opine de la frime, la menteuse occupée à lécher le papier pour fermer le thé que j’allume dans la foulée. Je lui demande si elle m’a déjà lu :

« Pas vraiment, non. Mais j’trouve ça très cool. Moi, je travaille comme serveuse dans un rade à l’est de la Ville. La paye est pas terrible, mais l’ambiance est plutôt bonne et le patron plus pédé que les anges, alors j’ai pas trop à m’plaindre. »

« J’préfère ça, ça m’aurait emmerdé d’aller carrer une volée d’plombs dans les couilles d’un enfoiré qui s’amuserait à peloter ma p’tite fille ! »

Hé ! Ernie est un papa…Bah merde. On s’était déjà posée la question, avec les gars, de savoir si le vieil Ernie avait déjà eu une vie sexuelle. On ne l’a jamais vu avec une pouliche quelconque, officielle ou officieuse, amoureuse ou tarifée. Du coup, on s’était dit que l’excès de came avait fini par lui défricher définitivement la moindre parcelle de libido. ‘faut croire qu’on s’est planté. J’ose pas demander où se trouve la mère, ni qui elle est. Aucun des deux n’aborde le sujet, alors je ne pipe broke et les laisse causer ensemble ;

« Eh, dis moi, ce grand abruti avec son Stetson à la con, ce Marco, tu le vois encore ? »

« Non. Enfin, si, il s’est fait embaucher comme barman dans le bistrot en face de chez moi, alors on s’croise assez souvent. »

« M’dis pas qu’il t’harcelle ce salopard baiseur de limaces ?! »

« Non, t’as pas à t’biler papa, je t’assure, il reste très cordial. »

Eileen prends quelques bouffées sur le machin et le passe à Ernie ; elle farfouille ensuite dans son grand sac en lin noir et en sort un paquet de clopes, des Blue Veins. Elle s’en cale un entre les pulpeuses et plonge à nouveau dans le fond de son grand sac. Il est vraiment très grand ce sac, semblant presque sans fond à mesure que le bras de la môme s’enfonce dedans. Elle dévoile alors un disque vinyle, à la jaquette enrobée de cuir jaune criard, sans titre, sans nom, sans rien. Je saurais pas dire si c’est moi qui hallucine, mais le d’habitude si jovial Ernest Tubb prends soudain un visage grave. Ses glozzes bleus pâles et bienveillants semblent s’être assombri :

« Bien, tu l’as amené. Jack, j’ai une faveur à te demander. Je voudrais que tu emmène Eileen et ce disque à Octopus Garden. Là-bas vous rencontrerez un vieux pote à moi, on a fait la 3e ensemble, sur le Vieux Continent. Vous lui filerez le bouquin, en échange de quoi il vous filera un gros sac plein de gros biftons. En théorie, ‘devrait pas y’avoir de lézards, mais je voudrais que t’ailles avec elle, c’est d’acc ? »

« Heu... Papa... A propos de lézard... Ouais, heu, Marco est au courant pour le vinyle... »

« Marco est au courant ?... Comment ça Marco est au courant ? J’pige pas... Marco est au courant ? »

« Arrête ça. »

« Marco... Hé ! Marco est au courant ? Ce putain d’enfoiré de sodomiseur drosophilique est au courant ?! Et de quoi pourrait-il bien être au courant, dis-moi ? »

« L’autre soir, j’suis rentrée du boulot, et il était là... »

« Là ? Là, où ? Comment ça, « là » ?! Ah merde ! Crache ton histoire ! »

Je suggère à Ernie, l’air de rien, de s’ouvrir une nouvelle bière et de la laisser causer sans interruption, que ça ferait un peu avancer le récit sans s’enliser dans des lignes de dialogues pas forcément utiles.

« Hum, ouais bon, merde t’as raison. Ok ma chérie, dis nous tout. »

« L’autre soir, j’suis rentrée du boulot, et Marco était là, assis sur un des fauteuils du salon, planqué dans la pénombre, ses stupides Santiags sur la table basse. Il a dit qu’il savait pour le disque, qu’il l’avait déjà vu planqué dans ma piaule, quand on était encore ensemble. Depuis, il s’est rencardé, j’sais pas comment, et il a su qu’il valait un gros paquet de gros billets. J’ai réussi à le foutre dehors à coup de bombe au poivre, mais j’crois pas qu’il s’arrêtera là... »

Sacrée chierie et Sainte Catin, on dirait une mauvaise histoire de série B, le genre de machin qui m’attirent systématiquement de gargantuesques tas d’emmerdes aux styles variés. Marco…Quel nom à la con. Ernie me demande si je suis toujours partant ; je réponds que j’ai jamais dis être partant, même avant la p’tite histoire d’Eileen, et que déjà à ce moment là, je ne tenais pas plus que ça à crapahuter à travers la cambrousse et la moitié du pays pour ses beaux yeux. Il me prend alors l’envie de pisser. Je prie le père et la fille de bien vouloir m’excuser, et sors de la caravane sans roue pour aller écluser une partie de la bibine déjà ingurgitée. Ernie m’emboite le pas – il veut me causer en privé et ne me laisse pas bénéficier de la quiétude qu’on est en droit d’espérer planqué dans les gogues :

« Ecoute Jack, j’suis pas rassuré pour Eileen, et j’suis déjà trop vieux et trop proche de lâcher la rampe pour m’embarquer dans ce bordel, surtout avec ce con de Marco sur l’affaire. »

« ... »

« Bon, écoute, j’te file une partie du blé que vous allez récupérer là bas, et je peux t’assurer mon pote, que j’te parle d’un vrai putain de gros paquet de blé.

« ... »

« Et merde, bon, d’accord, en plus du blé, j’te laisse venir te servir en disques jusqu’à ce que j’cane pour de bon, qu’est-ce que t’en dis ? »

J’en dis que j’en sais rien, j’en dis que j’aimerais pisser peinard. Ernie lâche un soupir et retourne dans sa caravane sans roue. Après, on a continué à picoler en s’écoutant des disques et en prenant le thé. Ernie s’endort après le cinquième et la neuvième symphonie de Beethoven. Eileen et moi nous reluquons sans rien dire, on termine de descendre les bières du petit frigo (y’en a combien, des bières, dans ce frigo ?!). Il est presque dix-sept heures. J’allais m’écrouler à mon tour dans les limbes de l’ivresse, mais Ernie se redresse alors comme un putain de vampire hors de son cercueil et m’attrape par le col de la chemise :

« Bon, là j’sature. Écoute-moi bien, raclure de poivrot, petit scribouillard à la con, tu vas accepter le deal que j’te propose et emmener ma fille ci-présente à Octopus Garden ! Tu vas récupérer mon fric et vous allez revenir dans la foulée, sans lambiner. Tu vas la protéger, tu vas prendre soin d’elle, tu vas gaffer à c’qu’il ne lui arrive aucune tuile, sinon j’te garantis que j’te passerais tes putains de burnes au hachoir, c’est clair ?! Maintenant, vous prenez les merdes dont vous avez besoin et vous foutez le camp fissa ! Vous rencontrerez mon contact demain matin – Eileen a l’adresse. Ah ! Et une dernière chose, mais non des moindres : petit Jack, si t’as l’malheur d’aller fourrer ta queue dans le sanctuaire de ma fille, je t’égorge. Propre et net. Pigé ? »

Je... Je sais pas trop quoi répondre là, me situant soudainement dans un état catatonique, paumé quelque part entre la surprise de voir le vieil Ernie faire preuve d’autant de véhémence dans ses propos et autres menaces, et la peur induite par les propos et menaces susmentionnées. Je me lève en marmonnant un « dacz-dacz, pas la peine de s’foutre dans des états pareils », et Eileen et moi nous mettons presqu’aussitôt en route ; une fois derrière le volant, je prends le temps de m’allumer un clope et de farfouiller dans la boite à gants à la recherche d’une flasque de bourbon dont j’prends une longue gorgée, interrompue par Eileen :

« Alors, tu démarres ou t’attends que j’te tailles une plume ? » Amusant, la charmante donzelle est bien la fille de son vieux, pas de doute. J’enclenche le moteur, l’album des Doors gueule à nouveau dans l’habitacle.

You’re lost little girl
You’re lost little girl
You’re lost
Tell me, who
Are you ?

Les pélicans se brossent les plumes à la naphtaline, Side B

Eileen et moi roulons vers le nord à plein tubes. Octopus Garden est un petit village de l’Illinois, pas loin de Prairie du Rocher. ‘doit y’avoir trois cents pèlerins qui y vivent, bled plutôt calme et sans histoire. Nous y arrivons vers vingt-deux heures, après avoir bouffé près de quatre cent bornes de bitume, et trouvons aussitôt la rue principale. Je ralentis l’allure à la recherche d’un autochtone apte à nous indiquer l’hôtel le plus proche, et par la même occasion, le bar le plus proche de l’hôtel. On en trouve un, d’autochtone, affalé sur le banc d’un abribus. A la pogne, une boutanche de mauvais muscat blanc et sur la tronche une barbe miteuse et des yeux comme des culs d’chèvre ;

« Continuez encore trois ou quatre cent mètres, vous tomberez juste sur l’hôtel Yorba. ‘pouvez pas l’manquer, c’est l’seul qu’on ait. Et c’est même pas vraiment un hôtel, c’est une grande baraque que la veuve Yorba a transformée à la mort d’son mari. Mais y’a jamais aucun touriste qui fout les pieds ici, toutes les chambres sont libres, vous bilez pas pour ça. Pour boire des coups, c’est juste en face, au Blue Orchid, c’est ouvert toute la nuit et c’est aussi l’seul rade en ville. Vous v’nez faire quoi dans l’coin, si c’est pas trop indiscret ? ‘savez, y’a pas grand-chose à voir par chez nous.»

Eileen répond avec un grand sourire que c’est indiscret mais qu’on le remercie grandement pour ses indications. On continue donc trois ou quatre cent mètres et tombons juste sur l’hôtel Yorba. J’zieute de l’autre côté de la rue et reluque un peu la trogne du Blue Orchid – c’est foutue tout en brique bleue. Amusant. On descend de bagnole, Eileen - accrochée à son grand sac noir – regarde dans toutes les directions ; elle est pas vraiment rassurée la môme, et comme j’pige toujours pas pourquoi (elle m’a pas pétée un mot du trajet au sujet de Marco ou du bouquin), je décide d’en avoir rien à foutre et ne songe plus qu’à m’enzincer au Blue Orchid et d’y picoler jusqu’au rencard de demain matin. Mais pour le moment on toque à la lourde de la vieille baraque – un grand machin de trois étages et un grenier ; sans doute une cave aussi (yep, on s’en cogne un peu, j’te l’accorde). La porte s’ouvre dans un grincement de charnières mal-huilées et laisse apparaitre un morceau d’femme toute ridée, usée et montée sur une jambe de bois, soutenue en plus par une cane au pommeau en forme de rose écarlate. Quelle élégance. Le morceau d’femme se présente comme étant la veuve Yorba et nous souhaite la bienvenue chez elle. J’allais demander des piaules séparées mais Eileen prends les devants :

« Nous voudrions une chambre pour la nuit, c’est possible ? »
« Oui. Toutes les chambres sont disponibles. »
« On en voudrait bien une qui donne sur la rue. »
« Comme vous voulez. Toutes les chambres sont disponibles. Veuillez me suivre. »
« Z’avez combien de chambres dans votre bouclard ? »
« Une seule. »

Elle est d’une incroyable froideur, a un regard absolument vide et une voix monotone, tapant dans les basses, presqu’inaudible. J’ai la très nette impression qu’elle se serait bien passé de notre visite. Une seule piaule, hein ? Hé, ce job pourrait s’avérer plutôt bonnard en fait…A condition qu’Ernie ne l’apprenne jamais...On monte jusqu’au deuxième étage et je profite du trajet pour zieuter le cul sublime d’Eileen, pensant le pour et le contre. Yep, vraiment putain d’bonnard. A (re-)condition de pas s’faire pincer un jour ou l’autre par Ernie – j’tiens vachement à garder intacte mon intégrité physique La veuve nous ouvre la chambre 208 ; elle nous rencarde en quelques phrases concises sur les us et coutumes locales mais j’entrave que dalle, mon esprit étant tout occupé à fantasmer sur le tango tantrique qu’on pourrait s’payer, Eileen et moi. La veuve se barre enfin, refermant la lourde en bois verni derrière elle. Nous voilà seuls dans la chambre équipée d’un lit double à la literie d’un blanc éclatant, un canapé bleu-gris et propre et d’un parquet impeccable. On peut dire que la vieille est une sacrée putain d’fée du logis. Je suis étonné : je m’attendais à un truc plutôt miteux, mais maintenant que j’y repense, c’est vrai que le hall d’entrée était aussi parfaitement entretenu. Y’a finalement que la façade qui déconne un brin. Mais je divague et reporte mes songes sur Eileen, qui semble percuter la chose ;« Hé ! Jack, te fais pas d’idée mon mignon, j’ai demandé une seule chambre pour pas éveiller les soupçons, au cas où Marco…Enfin bref, le plumard est pour moi. Toi et ta queue, vous dormirez sur le canapé. » Et merde. Je la laisse s’installer et m’cassos avec dans l’idée d’aller faire un tour au Blue Orchid. Je te disais un peu plus haut que la façade du rade était en béton bleu ; bah l’intérieur est exactement pareil. Tout est bleu du sol au plafond : le zinc, le mobilier, tout et même le tourne-disque et le barman. Et partout, des orchidées. Bleues – je n'crois pas avoir déjà vu un truc pareil. Comme pour Eileen, je décide néanmoins de m’en foutre et vais m’coller sur un tabouret, juste entre les trois pompes à bière et le tourne-disque qui joue l’album éponyme du Killing Floor – galette de rock joyeux, ça swing pas mal, façon psyché-blues, j’aime beaucoup ! Je demande une bière, un bourbon et un paquet de Blue Veins au barman en costume trois-pièces et tout bleu. J’discute avec lui d’ailleurs, il s’appelle Izzy, et doit avoir dans la vingtaine. Il me demande ce que je fous dans ce trou paumé ; je lui réponds que je suis là avec une copine et que c’est franchement pas passionnant. Ca l’fait marrer – un p’tit rire, presque nerveux, et sur sa gueule d’angelot imberbe se dessine un léger sourire en coin. On cause un peu musique ; il en connait un rayon le mec, c’est plutôt cool. Il me fait même voir sa collec’ de disques et me laisse choisir lequel jouer à la suite de Killing Floor. Après une brève hésitation, j’me décide pour le White Blood Cells des White Stripes. Et tandis que le bar s’inonde de Dead Leaves And The Dirty Ground, Izzy me propose de rouler un thé pendant qu’il va cherche une bouteille d’un meilleur bourbon que celui qu’il m’avait d’abord servi. Avec tout ça, je zape totalement Eileen pendant un moment et remarque à peine (encore) le grand type tout en musculature et tignasse trop gominée et nouée en queue de canasson qui s’tire la tronche cachée sous un Stetson noir. Il me bouscule d’un coup d’épaule savamment dosé en passant derrière moi, mais, comme pour Eileen, comme pour le bleu omniprésent, je décide une troisième fois d’en avoir rien à foutre et de rester perché sur mon tabouret ;

Well, I’m findin’ it harder
To be a gentleman everyday
All the manner that I’ve been taught
Have died slowly away

Le grand type en reste là et se tire quand Izzy revient avec une bouteille de Wild Horses à la main. Je passe une partie de la nuit avec ce barman bleu et puis quand je suis suffisamment cartonné pour qu’il refuse de me servir à nouveau – et ce malgré toute la sympathie qu’il a pour moi – je décide de rentrer me pajoter. Une fois dans la rue je suis aveuglé par le soleil qui se lève à l’est ; j’me le prends en pleine poire, me traine jusqu’au trottoir d’en face ; la lourde s’ouvre sans que j’ai à lui en coller une – la veuve Yorba est derrière, dans le même peignoir que la veille, j’crois pas qu’elle ait beaucoup dormie non plus. Je crapahute difficilement les escaliers jusqu’à la chambre 208 dont j’ouvre délicatement la porte, y trouve Eileen endormie sur le lit, en petite tenue et par-d’ssus les couvertures. Je me rince un peu les glozzes (t’aurais fait pareil, enfoiré) et puis m’écroule sur le canapé sans prendre la peine de m’désaper. Je m’évanoui aussi sec.

Je suis réveillé par les hurlements d’Eileen d’abord, ses coups de poings sur ma poitrine ensuite, et ses baffes dans la gueule pour finir. Elle hurle que

« Mon taré d’ex-copain nous a retrouvé ! Il est venu ce matin, pendant que toi, enfoiré de putain de poivrot, tu cuvais ta bibine ! Il m‘a pointé un flingue dessus en m’intimant de bien vouloir fermer ma gueule, a tranquillement récupéré ce putain de vinyle, et a mit les voiles tout aussi tranquillement, sans oublier de me gratifier d’une beigne en plein sur la carafe ! Et t’as pas été foutu de te réveiller ! Putain, Jack, t’étais censé gaffer à c’que ce genre de chierie n’arrive pas ! »

Et merde, heu, quoi ? Quel ex-copain ? Quel vinyle ? Putain, j’bite que dalle ! Merde, j’crois bien être encore saoul ; je lui demande de ralentir un peu la cadence et de bien vouloir me débiter sa prose à un rythme humainement perceptible. Pour le moment, elle tape tellement dans les aigus qu’elle me vrille les étagères et que seuls les clébards du coin doivent être capable de la piger ;

« Marco est en ville, sombre con ! Je ne sais pas comment il s’est démerdé, mais lui et son Stetson débile nous ont retrouvé ! »

Le cave de cette nuit... Et merde, putain d’enfoiré, il a du m’suivre quand j’suis rentré du Blue Orchid. Et je l’ai mené droit ici. Bon, y’avait d’grandes chances qu’il nous trouve de toute façon, s’il n’y a qu’un hôtel et qu’un rade dans les environs, on allait forcément y passer. Mais comment il a pu savoir qu’on était dans ce bled ? Y’a un truc qui déconne là ;

« Bon, on s’bouge, je sais où il est allé. J’te raconterai tout en route. »

Elle me dit de prendre la sortie Est et de tourner à gauche un ou deux kilomètres après sur un chemin courant à travers champ. Je m’exécute, écrasant l’accélérateur. Bon, alors c’est quoi l’histoire ? C’est qui ce connard à Stetson ?

« Ce connard est mon ex-petit ami, Marco. Et il est aussi l’une des pires ordures que j’ai jamais croisées. Je l’ai quitté parce qu’il me cognait, m’enchainait parfois au radiateur pour m’empêcher de sortir, sauf pour aller bosser et ramener assez de pognon pour lui payer sa came. C’est un foutu putain de junky, et il carbure à des saloperies assez costaudes. Un jour, il m’a trainé avec lui à la vieille Gare, je devais filer une enveloppe de pognon à un type et lui récupérer une dope inédite sur le marché. Sauf qu’à la vieille Gare, y’avait personne pour récupérer sa putain d’enveloppe. J’ai attendu une plombe sur un banc, j’étais tellement furax que j’ai pas remarqué tout de suite le vinyle qui trainait bien en évidence sur ce banc à la con. J’sais pas pourquoi je l’ai fourré au fond d’mon sac, sans doute pour m’donner l’impression de ne pas avoir gâché mon jour de repos à jouer les mules pour l’autre enfoiré. Finalement, le type est arrivé, j’ai récupéré le matos en échange de l’enveloppe et j’ai rejoins Marco dans son tacot moisi. Il m’a d’abord collé une beigne avant de m’demander ce qui m’avait pris aussi longtemps. Putain d’salop. Quelques semaines plus tard, j’étais chez Ernie, mais il était occupé à cuver dans sa caravane sans roues, alors en l’attendant, j’ai écouté le vinyle. Dedans, y’avait que des histoires à la con sur un dieu, un démon, des anges, une inondation géante et des pluies de feu, et tout un ramassis de conneries dans c’goût-là. Quand Ernie a entendu les notes, il a flippé, j’veux dire, complètement, je l’avais jamais vu dans un état pareil, tu vois ? Enfin bref, Ernie arrache le truc du tourne – disque et me pose tout un tas de question sur comment je l’ai eu, et blablabla. Après avoir bu un coup, il a dit qu’il pourrait p’tet bien en tirer quelque chose, mais que je devais en parler à personne, et ne surtout plus l’écouter, que c’est dangereux. Tu parles d’une connerie. Mais Ernie avait l’air persuadé que ça valait du fric, il m’a parlé d’un pote de l’armée, un type qui avait combattu avec lui et branché sur ce genre de fumisteries ésotériques. Ernie l’a contacté, arrangé le rendez-vous et la valeur de la transaction. Et putain, crois moi, ça fait un sacré tas de gros billets. Après ça, y’avait plus qu’à attendre le jour des nouveautés pour que tu t’amènes au magasin et te suggérer d’me servir de garde du corps. Belle connerie, comme on le sait tous les deux maintenant. »

... Connasse. Quoiqu’il en soit, Ernie a foutrement intérêt à tenir sa promesse parce que merde ! dans l’genre job à la con, c’est vraiment un sacré foutu putain de job à la con. On arrive enfin dans l’enceinte d’une ferme abandonnée – depuis une chierie d’années à en juger par la végétation ; on s’croirait en pleine jungle. Y’a déjà deux bagnoles garées là. Au fond de la cour, délimitée par des murs à moitié écroulés en briques rouges, y’a un machin plus déglingué que les murets qui ressemble vaguement à une maison ; la porte en bois vermoulu s’ouvre sur un type en costard bleu, cheveux courts, argentés et impeccables, il arbore une petite moustache de la même couleur et des yeux d’un bleu hallucinant, profond et brillant. Il nous accueille avec un grand sourire et nous signale qu’un certain Monsieur Blue nous attend au salon. Sans déconner ? Monsieur Blue ?

« Sans déconner, Jack. »

Heuuu…Et merde, j’préfère même pas demander comment il connait mon blase. Dans le salon au parquet éclaté, poussiéreux, couvert d’un tapis rouge mité, y’a un mange-disque dans lequel les Rolling Stones joue Sticky Fingers (en fait y’avait même pas de musique, mais j’adore cet album). Sur une chaise sans siège, laissant pendre une paire de couilles velues, moites et sacrément amochées, un chiffon dans la bouche pour l’empêcher de babiller, on retrouve Marco sous son Stetson. Il a vraiment l’air d’un con avec c’machin vissé sur sa carafe tuméfiée, dégoulinante de sang, de salive et de sueur ; y’a sans doute aussi quelques larmes dans ce cocktail – le dit-Marco semblant s’être fait castagner dans tous les sens, et pendant un bon moment, ça serait pas le plus honteux. Enfin, les reins bien calés dans un fauteuil à oreille en velours crade et bleu, un verre de bourbon en pogne et habillé d’un putain de costard bleu, la gueule d’ange d’Izzy me sourit de toutes ses dents bien blanches, amusé de me voir totalement ahuri et gamberger à plein régime pour tenter vainement d’entraver la situation ;

« Jack, Eileen, soyez les bienvenus. Vous voulez boire quelque chose ? »

Hum…Je cracherai pas sur un bourbon ; le type aux cheveux d’argent s’occupe du service. Eileen fixe avec une haine intense dans les glozzes cet enfoiré de Marco qui commençait à s’agiter sur sa chaise, gueulant ce que j’imagine être des insultes et des menaces. Je crois, parce qu’avec son chiffon dans le claquoir, les mots sonnent plutôt étouffés ;

« J’ai été assez surpris de voir cet homme venir ici avec le Vinyle. Il s’est même vanté de vous en avoir délesté, et non sans une certaine violence. J’ai trouvé la chose assez malvenue. J’estime néanmoins que vous avez mené votre mission à bien, alors voici votre paiement. Et puis, je dois bien ça à Ernie. »

Le type aux cheveux d’argent tend à Eileen un sac en toile bleue bourrée à craquer. Elle l’ouvre fébrilement pour y découvrir le gros tas de gros billets conté par Ernie ;

« En bonus, et en gage de ma sympathie, je vous laisse disposer de ce sinistre individu comme vous l’entendrez. Ou alors, si vous préférez, Georges ci-présent peut s’en occuper pour vous. Il est expert en tortures diverses et se fera une joie de se débarrasser du corps ensuite. »

« Un expert en torture, hein ? Alors faites ça, Georges, torturez cet enfoiré. Pendant trois jours. »

Un sourire mauvais s’était peint sur le si joli visage mat d’Eileen. Avant de partir, je voudrais quand même bien savoir comment Marco a su qu’on était à Octopus Garden. Georges retire le chiffon de sa bouche pour qu’il réponde à la question ;

« Allez vous faire mettre, tas d’enfoirés ! »

Georges lui balance aussitôt une mandale en plein tronche et suggère qu’il réponde à la question ;

« Ah ! Merde ! Ok, d’accord ! Je voulais récupérer le bouquin, d’accord ? Alors j’ai fais passer le mot dans la ville que j’te cherchais, Eileen, d’accord ? Un copain à moi vous a vu sortir du magasin de ton vieux, et il est tout de suite me trouver pour m’le dire. Je suis allé voir Ernie à mon tour pour savoir où t’avais pu filer et qui était la petite pédale qui t’accompagnait, d’accord ? Mais cette vieille loque était trop abruti par la picole pour causer clairement. J’ai eu beau aligner les mandales, rien à faire. Alors je lui ai préparé un bon café, et puis un autre copain à moi s’est amené avec une bibine de sa confection, le genre qui t’fait cracher tes pires secrets sans que tu puisses y faire quoique ce soit. Après ça, il m’a tout balancé. »

Yep. Ce type est vraiment une putain d’ordure, et rien que pour sa ponctuation foireuse à base de d’accords – mais surtout pour Ernie – il mérite sans doute de manger des gnons. Eileen lui allonge d’ailleurs un coup de tatane dans les valseuses. Après ça, on dit qu’on est désolé, mais qu’on doit rentrer fissa voir comment va Ernie. Izzy dit qu’il comprend ;

« Je comprends. Georges va s’occuper de Marco, comme promis. Ne vous en faites pas trop pour Ernie, ce type est increvable et encaisse les raclées comme personne, croyez moi. »

Sur la route, je décroche pas le pied du plancher, je veux retrouver Ernie au plus vite. Quoi qu’en dise Izzy, je m’inquiète de son état après la volée qu’il s’est prise. On arrive à Nashville en à peine deux heures. La porte du magasin était restée grande ouverte et des types s’étaient pas gênés pour venir le piller. On a retrouvé Ernie dans sa caravane sans roue, la tronche toute tuméfiée, occupé à boire une bière en écoutant un disque de…disco ? Du putain de disco ?

« Merde, Jack, Eileen, vous l’croyez ça ? Ils ont tout pris ces enfoirés ; les disques, la caisse, ma bagnole, tout. Cet album disco, c’est l’seul truc que ces enfoirés aient pas piqué... »

Bon, ça a l’air d’aller, il ne s’inquiète même pas de savoir comment on va. Il se doute que si on est là, le gros sac de gros billets dans les mains, c’est qu’on s’est en sorti. On s’assoit avec lui dans la caravane sans roues. Je fais quand même un aller-retour à la guimbarde et récupère la galette des Doors. Hors de question que je me farcisse son disco à la con. Quand je reviens, Ernie semble avoir retrouvé le moral en voyant le paquet de fric. Eileen lui raconte toute l’histoire et lui transmets le bonjour d’Izzy. Je picole un peu avec le père et la fille et puis je prends congé, j’suis crevé, j’ai envie d’aller m’écrouler au pajot avec un thé et du blues. Ernie me file ma part de fric, me remercie pour tout, et puis se laisse tomber sur son fauteuil et retourne à la musique. Eileen me prends dans ses bras, et me souffle à l’oreille qu’elle aimerait bien qu’on se revoit. Je lui réponds que ça devrait pas poser de problème. Elle m’embrasse discrètement sur le coin de lèvres. Je reprends la voiture et prends la route pour ma vieille baraque du 1009, sur la 7e Avenue Sud, et comme à l’aller, je roule peinard à l’allure raisonnable de trente kilomètres heure. Et c’est à ce moment précis que ça me saute à la gueule. Ernie disait qu’Izzy avaient fait la guerre ensemble…C’était une chierie d’années avant maintenant, Izzy devrait avoir au moins cinquante piges...

Et puis merde,
j’vais m’coucher.

Dossier "Pour une dernière aurore"

Sous la direction d'Amanda Neuvel

Note introductive
Le dossier "Pour une dernière aurore" consiste en un regroupement de témoignages d’origine française portant sur des disparitions mystérieuses liées à une chanson perdue, mais que toutes les présumées victimes connaissaient bien.

Témoignage n°1 : copie d’un échange sur parlonsmusique.com

adNamaVL : Bonjour,
Je suis à la recherche de personnes pouvant me parler d’une complainte/chanson « maudite » portant sur la mort mystérieuse d’une jeune femme (Aurore?) alors qu’elle fuyait une union non consentie. La chanson se termine par le suicide de celui qui l’aimait.

Lou_2114 :
Bonjour,
Est-ce que vous pourriez être un peu plus précis.e sur la question ? Thème ? Complainte de quelle époque ? Et qu’est-ce que vous entendez par chanson « maudite » ?

MuffinChocola88 :
Aurore avait 1 amnt ?? Qui s’est suicidé ??? oO

TimTom :
Je savais même pas qu’elle était morte. Je pensais qu’elle avait seulement disparu !

adNamaVL :
Bien sûr @Lou_2114 ! J’enquête sur une chanson reprise en 1965-1966 par le jeune talent Aurore Aubrun. Je n’en connais malheureusement pas le titre (ni celui de la reprise d’Aurore A., ni le titre original). Tout ce que je sais c’est que cette reprise semble inspirée d’une complainte (probablement du XIIIe siècle) racontant l’histoire d’une jeune fille (Aurore ?) qui décide de s’enfuir pour échapper à une union non consentie. Elle reçoit pour cela l’aide d’un jeune garçon de son village. Or, pour une raison que j’ignore (il m’est impossible de trouver une version complète de cette chanson), la jeune fille est retrouvée morte, juste après sa fuite apparemment réussie. Le jeune garçon, qui l’aimait en secret, se donne la mort à son tour.

Et si je parle de chanson « maudite », c’est parce qu’Aurore Aubrun a elle-même disparu juste avant l’enregistrement de cette chanson qui l’avait fait connaître. Mais cela ne s’arrête pas là : s’en est suivie une série de disparitions inquiétantes de jeunes gens qui, dans des lettres de ruptures, des messages d’adieux ou des journaux intimes semblent se référer à cette chanson, et cela des années après la disparition d’Aurore Aubrun, et donc de cette fameuse chanson qu’on pourrait appelé « Pour une dernière aurore… ».

adNamaVL :
@MuffinChocola88 TimTom Je ne faisais pas référence à Aurore Aubrun, mais à la chanson que celle-ci a reprise. Si vous connaissez la chanteuse, peut-être pourriez-vous me parler de la chanson qui l’a fait connaître ? Je n’arrive pas à mettre la main dessus…

MuffinChocola88 :
Aaa nan dsl, sa fait un baille, je sait meme plus de quoi sa parle !

Rom1de3 :
ça me parle cette histoire… Je me rappelle d’une fille dans ma classe au collège dont le grand frère avait fugué. Pour le coup je crois pas que ça ait un lien avec la chanteuse dont vous parlez, parce que les dates ne collent pas du tout, mais je suis sûr qu’une rumeur circulait disant qu’il s’était enfui avec sa copine qui s’appelait Aurore mais que personne avait jamais vu. Et il faisait partie d’un groupe de musique aussi. Je sais pas du tout si ça a à voir avec votre histoire mais ça m’avait marqué donc voilà !

Témoignage n°2 : coupure de presse

13 mai 1966
Difficile de mieux choisir son jour
Pour disparaître
DISPARITION INQUITETANTE D’AURORE AUBRUN
C’est d’une façon tragique que s’est conclue la belle soirée animée par le jeune talent dijonnais, Aurore Aubrun, ce vendredi soir. La jeune femme de 24 ans est en effet portée disparue depuis maintenant deux jours.
De l’aube claire jusqu’à la fin du jour On ne parla plus que de ce triste amour
Ses parents, très inquiets, ont lancé un appel à témoins.
CHEVEUX BRUNS - 24 ANS – CITROEN AMI 6 - POLO BLANC

#COMPLAINTE #AURORE #DISPARITION #CHANSONMAUDITE

DISPARITION INQUIETANTE D’UNE JEUNE LYCEENNE DE 17 ANS
Elle n’est jamais rentrée chez ses parents après son cours de musique au Conservatoire. Depuis vendredi, les gendarmes de Pau sont à la recherche de Mia, une adolescente de 17 ans scolarisée au lycée Saint-Cricq. Le procureur ouvre une enquête pour disparition inquiétante. MIA – 17 ans - 2006.

LES GENDARMES LANCENT UN APPEL A TEMOIN
Son véhicule a été découvert abandonné le 15 janvier au barrage de Cambeyrac. Les recherches autour de la retenue d’eau n’ont rien données jeudi. Elles se poursuivent ce vendredi. Une enquête est ouverte par la gendarmerie d’Entraygues-sur-Truyère, qui a également lancé un appel à témoin. ARTHUR – 35 ans – 1977.

LES RECHERCHES SE POURSUIVENT
Le dernier message laissé par la jeune fille dans son journal intime ne laisse aucun indice concernant le lieu où la jeune femme pourrait se trouver actuellement, mais inquiète son entourage. NOLWENN – 19 ans - 1988.

TOUTE PERSONNE AYANT DES INFORMATIONS EST PRIEE DE CONTACTER --
« Ça ne ressemblait pas à sa façon d’écrire. Soit quelqu’un l’a fait à sa place, soit cette même personne lui a dicté. Il le dit lui-même, on ne s’est jamais écrit de lettre. Ça ne lui ressemble ». C’est Sarah, sa petite amie, qui a alerté l’entourage du jeune homme après avoir reçu une lettre de rupture. Aucune trace de celui-ci dans son domicile. Il n’a plus donné de trace depuis cette fameuse lettre dans laquelle il semble parler d’une autre personne. Aucune autre disparition n’a été signalée dans la région et personne dans son entourage, pas même ses amis proches ne savent de qui il pourrait s’agir. VICTOR – 23 ans – 1993.

#DISPARITION #INQUIETANTE #MYSTERIEUSE

Témoignage n°5 (page du journal de Nolwenn)

Samedi 10 novembre 1988

Je ne sais même plus si cette chanson me fait du bien ou du mal. Je crois qu’elle me fait du bien. Mais c’est mal. C’est mal de me réjouir de quelque chose de si morbide n’est ce pas. Et en même temps. Des fois, j’aimerais mieux être à sa place. Parce qu’elle finit libre, elle, dans tout ça, elle qui était si gentille, avec ses cheveux blonds et ses yeux mignons. Qu’est ce que c’est plan plan en fait... Toujours blonde. Toujours ces yeux bleus. Pourquoi est-ce que je la chante encore cette chanson ? Et pourquoi est-ce qu’on devrait en plus la plaindre, elle avec ses cheveux blonds et ses yeux mignons ? Elle y échappe, elle, à toutes ces contraintes qu’elle redoutait tant. En plus, elle n’y va pas seule. Moi je serai seule. Mais ça ne me fait pas peur. De toute façon, personne n’est là pour me cueillir des roses ou se jeter à l’eau. Et je n’ai besoin de personne. Juste d’un air tranquille qui m’aiderait à partir. Moi aussi je rêve de ce calme. Mais elle me trotte dans la tête sans arrêt. Elle me fatigue. J’aimerais qu’elle me laisse tranquille. Je ne veux plus entendre sa voix dans ma tête. Je voudrais que ça s’arrête. Je voudrais que de l’aube claire jusqu’à la fin du jour, ce ne soit que silence.

Témoignage n° 8 (extrait d’une lettre de rupture)

Sarah,

Je ne sais pas trop par où commencer... Je regrette un peu de ne pas t’avoir écrit de lettre plus tôt, ou de ne pas t’avoir offert de roses, jamais. Tu est une fille douce et gentille, et je te serais toujours reconnaissant pour tout ce que tu m’as apporté. Mais, je crois que maintenant, j’en ai assez. Je ne sais pas trop comment t’annoncer ça. Je ne sais même pas ce que je dois te dire, ou ne pas te dire. Je pense que je dois tout te dire. Parce que tu finiras bien par l’apprendre. Et qu’on s’est toujours tout dit n’est-ce pas ? C’est une question d’honnêteté. Donc voilà, je me lance. Il y a une fille à laquelle je pense. Beaucoup. Tout le temps même à vrai dire. Je ne sais pas vraiment qui elle est, mais je sais qu’elle est fascinante. Et j’aimerais pouvoir l’aider. Je pense que je vais l’aider. Elle doit partir, tu comprends. J’ai peur qu’il ne lui arrive quelque chose. Alors, je vais me jeter à l’eau je pense, et lui dire ce que je ressens. Mais avant, il fallait que je t’en parle, à toi, pour que tu sois au courant. Il faut au moins que quelqu’un soit au courant, quelqu’un d’autre que la lune qui rode toujours entre les dunes. Tu peux te moquer, c’est pas de moi. C’est d’elle. Enfin pas vraiment. Mais ça a à voir avec elle, avec ce qui pourrait lui arriver.

Pièce n°13 : tentative de reconstitution de la chanson

[work in progress]