Enregistrement N° 418

Direction entretien : Jeremiah Eaton
Date : Lundi 01/08/2014

« … Bon on va commencer alors madame. Nom ?
— Rougeait.
— Comment l’épelez-vous ?
— … R... O... U... G... A... euh non E... A... I, T.
— Okay... Prénom ?
— Anne.
— Age ?
— 41... 42 ans.
— ... d’accord. Pouvez-vous me dire ce qui vous amène ici Mme Rougeait ?
— ...
— Madame Rougeait ? Hello ?
— ... Oui ?
— Vous pensez à quoi là ?
— ... A rien... A rien. C’était quoi la question ?
— Pourquoi êtes-vous ici ?
— Pour que vous m’aidiez. Il faut que vous m’aidiez. J’en peux plus.
— On est là pour ça madame.
— C’est cette musique. Elle est au fond de mon crâne, elle ne s’arrête jamais. Ca fait 6 mois maintenant qu’elle ne s’est pas éteinte. Avant elle était là de temps en temps, elle me donnait des migraines et elle me faisait oublier des choses mais elle ne s’arrête plus jamais et je n’en peux plus je veux qu’elle cesse d’accord je vis plus je mange plus j’ai même plus d’emploi ! Je... Je... mmmmmhmmm… — Madame ?
— ... mmmmhhmmmh...
— Madame ? C’est la musique dont vous parlez ? Madame Rougeait ?
— ... Mmmm ? Quoi ?
— ... Vous vous êtes mis à chanter. C’est cette musique que vous avez dans la tête ? Vous connaissez le titre ? Je ne l’ai jamais écoutée.
— Moi non plus... Sauf à l’arrière de mon putain de crâne.
— ... A l’arrière de votre crâne ?
— Oui, voyez, là, la mèche. Ca fait 20 ans qu’elle est coupée comme ça, vous savez, comme dans le dessin animé là, où ils coupent sa mèche de cheveux magiques et ils repoussent pas. Eh bah là c’est pareil. J’étais à une soirée, d’accord, une soirée. Le 18 avril, 1994, non, pardon, 1993, justement c’est bizarre, parce que j’y ai réfléchi vous pensez bien, et que ce soit en 93 c’est bizarre ça colle pas c’est pas un quatre mais comme c’était en avril peut-être que c’est pour ça, c’est le quatrième mois de l’année alors peut-être que c’est ça, mais il s’est rien passé ce putain de jour, je veux dire, dans le monde quoi, parce qu’il s’est passé des trucs quand même vu que j’étais en soirée, enfin bref, j’étais à l’anniversaire de ma copine de l’époque, elle s’appelait Marine, adorable, et j’y étais avec deux autres copains à moi, c’étaient Romain et Jean, adorables aussi vous pensez bien que j’étais pas copine avec des cons, on était comme cul et chemise tous les quatre, mais très platonique hein, pas d’embrouille, un peu à la « Friends » vous voyez ? Sans les mariages quoi... Eh bien ce 18 avril là, j’ai oublié cette soirée. Plus rien ! Trou noir total. Ils m’ont dit que j’avais disparu à minuit...
— ... Vous aviez disparu ?
— ... Mmh ?
— La soirée du 18 avril 93. Vous avez disparu à minuit et ils ne vous ont pas retrouvée ?
— ... Qui ça ?
— Vos amis. Euh, Marie et Romain. Et Jacques je crois.
— Marine et Jean. Je l’aimais bien, Jean.
— Il ne vous a pas trouvée ce soir-là ?
— Personne m’a trouvée. Je sais pas où j’étais. J’ai jamais su.
— Et ça n’a inquiété personne ?
— Je leur ai envoyé un message à 4h. 4h18 exactement. Encore ces chiffres. Vous voyez 4, 1 et 8. Ils sont partout je vous dis. La musique elle dure 4h18 aussi. Tout le temps. C’est une boucle qui tourne et la boucle elle dure 4h18. Je le sais.
— Une musique de 4h18 ? Vous avez... Hum, comment dites-vous... chronométré ? C’est ça ? Compté les heures ?
— Je le sais.
— Bon... Et ce message, vous vous en souvenez ?
— Non.
— Comment ça, non ?
— Bah non. Non ! Non je m’en souviens pas ! Ils m’ont dit le lendemain, je me suis réveillée dans mon lit tout habillée, avec cette mèche coupée et cette putain de musique dans la tête qui tapait à l’intérieur de mon crâne, et Jean m’a dit, Jean, que je leur avais envoyé un message à eux tous à 4h18 et c’était sur mon téléphone je le leur ai envoyé ce putain de message mais je m’en souviens pas ! Tenez, regardez... Il est où... Je l’ai gardé, je l’ai écrit sur tous mes cahiers... Il est où bordel... Ah ! Il est là ! Regardez, c’est mon agenda... J’ai plus le même téléphone vous pensez bien, en 20 ans, mais j’ai noté le message, sur tous mes agendas, tous mes cahiers, regardez... Toutes les pages en haut à gauche, vous voyez ? C’est marqué.
— Hum… En effet... « Inquiétez pas. Je gère tout. Envoyé à 4h18 ». Pourquoi l’avoir marqué comme ça ? Pourquoi ici en majuscules et d’autre fois vraiment tout petit ?... Ah, ici il recouvre la page entièrement.
— Je sais pas. Des fois je suis en colère et des fois je disparais.
— Vous disparaissez ?
— Oui, comme ce soir-là. Et depuis 6 mois je disparais tout le temps, je me souviens de jamais rien. J’ai longtemps cru... J’ai... Mmh...
— Anne ?
— ... mmmhmmmmmmhmhhh...
— Anne ? Oh ? Qu’est-ce que vous avez longtemps cru ?
— Mmmh… Quoi ? Pardon ? Monsieur ?
— Vous êtes là ?
— Eh ben oui, vous voyez bien. Qu’est-ce qu’il y a ?
— Vous parlez de votre soirée, que vous disparaissez.
— Non, je disparais pas, je suis là.
— Et à la soirée ?
— Non, à la soirée, j’ai disparu. Je vous ai montré le texto ! Je m’en souviens plus je vous dit ! Je croyais que c’était l’alcool, longtemps, j’ai cru que c’était l’alcool. A un moment, je suis sauve, mes amis sont rassurés, qu’est-ce que je pouvais bien gérer à part ma tête dans les cabinets à vomir ma vodka pomme ? Non, non, c’était l’alcool. Mais après j’ai vu cette mèche-là, et la chanson, je l’entendais mal, c’était comme une musique qu’on a entendu y a longtemps vous voyez, une musique qu’on aime mais on arrive pas à remettre le titre dessus et on arrive pas à donner l’air aux autres pour qu’ils la retrouvent à votre place. Vous voyez ce que je veux dire ? Eh bah cette musique à l’époque, j’y pensais quoi, une fois ou deux par semaine et des fois, pas une seule fois pendant un mois. Et à chaque fois qu’elle revenait derrière ma tête j’étais persuadée que c’était parce que je l’avais entendue dans un magasin, à la radio ou que sais-je. Et je voulais le dire aux autres mais impossible de sortir un son correct ! et pourtant elle restait longtemps, à me piquer le cuir chevelu, c’était profond et irritant, comme un moustique qui passe trop près de votre oreille et qui virevolte autour de vous pendant des heures et des heures. Mais j’arrivais pas. Et maintenant... Maintenant...
— Maintenant ?
— Bah maintenant vous m’avez devant vous. J’ai l’air de rien. C’est y a un an que ça a commencé. Tous les ans j’y pensais de plus en plus souvent, de plus en plus fort, mais c’était progressif vous voyez... Je... La musique est là... Il faut que je l’enlève d’accord ? Elle fait comme ça... Lalala... Lalala... Mmm... mmmmm... mmm...
— Je ne la connais pas.
— Mmm... Mmmm...
— Non, désolé.
— Lalalala... Lala... — Anne ?
— Mmm... Mmmm... Lalalala... Lalala...
— Madame Rougeait ?
— Moi non plus je la connais pas. Je l’ai jamais entendue. Je le sais maintenant. Je l’ai jamais entendue autre part que dans cette mèche de cheveux.
— Dans la mèche ?
— Oui, celle qui est coupée je vous dis. Elle a toujours été là. J’ai essayé de la couper vous savez, elle a jamais repoussé plus, et elle a blanchit il y a un an. Toute blanche, regardez. Et c’est là qu’elle est la musique.
— Que s’est-il passé il y a un an ?
— Elle s’est plus arrêtée.
— La musique ?
— Elle s’est plus jamais arrêtée. Elle était forte et elle s’arrêtait parfois, quelques minutes dans la journée, toutes les quatre heures dix-huit ou toutes les huit heures trente-deux. Bah oui, trente-deux, je sais pas non plus. Un 3 et un 2, y a des conneries dans le principe. Bref, elle s’est plus arrêtée et elle a commencé à être plus forte. J’ai commencé à oublier ce que je faisais pendant des minutes et puis pendant des heures. Y a un mois, y a une semaine entière qui m’a filé dans les pattes. Je dors mais je me repose pas, j’ai l’impression de... mmmmhmmm... lalala... de pas dormir ou alors de dormir tout le temps, vu que j’oublie ce que je fais. C’est comme si je dormais, mais je marche en même temps, alors je suis épuisée. J’ai essayé vous savez, d’arrêter toute seule mais ça a pas fonctionné. J’ai dû mal doser les médocs, c’est ma voisine qui m’a retrouvé dans mon salon, la tête en sang parce que je suis tombée en me relevant. Lalalala… Connaissent pas... lalalala... Mmm... La voisine vous la connaissez ? Elle me visite parfois, pour pas me laisser toute seule. Elle est gentille, c’est elle qui m’a dit de venir vous voir. Y a son fils qui a eu un problème comme le mien, mais elle m’a dit que lui c’était par rapport à la danse… Elle a pas voulu m’en dire d’autre... Mmmm... mmmm...
— Anne ?
— ...
— Anne ?
— ... Vous la connaissez pas vous êtes sur ?
— ...
— ... Ca a pas fonctionné et ça, ça fonctionnera pas non plus. Vous connaissez pas la chanson. Lalalala... Mmmmhhmmmm... J’ai essayé de l’arracher vous savez. La mèche. Ca a pas fonctionné. Elle est toujours là. Elle me transperce le crâne. Elle est si forte que des fois j’entends pas ce qu’il y a autour de moi. Je suis obligée de la chanter pour qu’elle se taise. Lalala... Lalalala...
— ... Madame Rougeait ?
— Lalalala... Mmmm... mmmm...
— ...
— ... Lalala... »

Fin enregistrement 418.

Notes sur rapport

Par Jeremiah Eaton

« Anne Rougeait au fil de l’entretien avait de plus en plus d’absences. La musique lui vidait le regard, la faisait perdre le fil de la conversation. Ses paroles avaient de moins en moins de sens. Comme pour les autres patients, plus elle livrait son histoire, plus la musique semblait s’emparer de son esprit. A la fin de l’entretien, plus aucune question ne pouvait lui être posée, elle n’entendait plus.

Anne Rougeait ne s’est pas arrêtée de fredonner après l’entretien.

Nous l’avons directement transférée vers l’unité des musiques de fond. Sur le chemin, alors que 18h04 s’affichait aux horloges, la patiente s’est mise à chanter, à hurler la mélodie, s’est débattue avec une telle violence que les deux soignants qui l’encadraient n’ont pas pu la retenir. Ayant vu la scène de mon bureau, j’ai accouru. La patiente s’est jeté au sol, sa tête heurtant violemment le mur. Elle est décédée sur le coup.

Anne Rougeait est la 418ème victime de la Musique de Fond ».

Témoignage

Sous la direction de Felix Hurley

Cas 487 : Voix irréelles sur la musique : [NOM INDISPONIBLE/REQUIERT ACCES NIVEAU 4]

Le cas 487 consiste en un regroupement de témoignages d’origine française constatant l’apparition de voix et paroles sur la musique : [NOM INDISPONIBLE/REQUIERT ACCES NIVEAU 4].

Plus les victimes écoutent le titre, plus les voix et paroles deviennent distinctes.

La durée d’intervalle entre deux écoutes n’a aucun impact sur la croissance des voix dans l’esprit des victimes.

Les chercheurs du BAM, d’après les sujets 1 à 46, n’ont toujours trouvé aucun intermédiaire pour écouter la musique sans subir ses effets néfastes.

Voici le témoignage du sujet 27, (a subi [REQUIERT ACCES NIVEAU 4] écoutes) seul sujet en état d’en parler :

« Elle me disait... disait... Oui. Va. Écoute. Entend ! Ici le chant des titans si grands ! Chante ! Chante ! Chante ! Chuuuut !... Sa voix, leurs voix, tonitruantes, accaparant mes fonds, mes sols, je les entends ? Non... Si ! Non. Vous demandiez ? Peu importe ! Je crois que je veux écouter, encore. Encore ! Mort... Hmmm... Il fallait y penser, bien sur ! Cette note ? Si bémol ? Mineure ou malheur ? Hmpf... Encore... »

Rapport du 06 avril 2018

Victime : Juliette Barbier - musique : Thriller, Mickael Jackson
Sous la direction d'Amarante Elliot (?)

C’est un mardi matin qu’elle me contacta.
Prise d’un état d’angoisse soudain :
sa respiration et ses paroles papillonnaient.

Naïvement en préparant son café
elle avait déposé un disque sur la platine, son préféré :
Thriller de Mickaël Jackson.
(celui qu’elle s’était acheté grâce à son premier job de babysitter en 1982).
À cause de son esprit encore peu éveillé,
c’est par la fin que le diamant avait commencé.
Par dessus le ronronnement de la cafetière
elle entendit son nom chuchoté :
« Juliette, Juliette, Juliette »

C’est par écrit qu’elle tenta de me retranscrire
toutes les paroles qu’elle avait pu entendre à la place de son teen idol :
« Juliette, Juliette, Juliette,
Je pense qu'il faut faire des choses pour toi aussi et je suis très contente de te revoir.
Oui ça fait longtemps qu'on a rien dit et on se voit pas trop quand tu veux.
La semaine prochaine on sera là pour toi et toi.
Je vais me promener dans la voiture,
bisous bisous je t'envoie un petit coucou. »

Le style, la façon de procéder,
je reconnue immédiatement un contact alien.
Le message avait 36 ans en âge terrestre
et probablement un quart d’heure ailleurs.